Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
cinquième volume 1926-1931

placement des antiques et fameux marais Pontins, par exemple, foyers de pestilence et de malaria, je vois du vert, encore du vert, du vert partout, de magnifiques champs à l’heure de la poussée, des fermes, des troupeaux, des machines agricoles modernes qui s’agitent dans le paysage. Nous sommes au printemps romain. Dans une lettre à ma mère, je lui écris :

Ici il fait beau et chaud, comme chez nous dans les beaux jours de mai. Hier, j’ai vu des pommiers ou des pruniers fleuris dans la campagne. On labourait ou l’on bêchait partout.

À la gare de Rome, le Père Leduc qui m’accueille, sa montre à la main, me dit après le cordial bonjour : « Voyez, vous arrivez à la minute ! » Un train qui arrive à temps ! Symbole d’un ordre de choses nouveau, en ce pays du laisser-aller centenaire, pays du doux farniente où naguère encore, personne n’était jamais pressé, où les trains ne partaient jamais à l’heure et arrivaient quand ils pouvaient.

Je m’accorde ici une digression. Et je ne me prive pas de raconter une petite aventure qui illustre bien cet état de choses. Ceci se passait quelques jours avant mon départ de Rome, en 1908. J’avais décidé d’envoyer mes malles à Fribourg, en Suisse ; je voulais les trouver là, à mon passage, après quelques visites dans le nord de l’Italie, voyage d’environ un mois. J’étais donc passé aux bureaux de l’American Express ; elle seule avait la réputation de faire marcher les messageries italiennes. « Je passerai à Fribourg dans un mois, avais-je dit à ces messieurs de l’American Express. À quelle date vous dois-je confier mes malles pour les trouver là à mon arrivée ? » L’on m’avait répondu : « Apportez-les ici tout de suite. De la frontière italienne à Fribourg, une journée suffira. Mais d’ici à la frontière, comptez trois semaines à tout le moins. Nous ne pouvons faire mieux. » Un mois plus tard j’arrivais à Fribourg. Mes malles attendaient encore à la frontière italienne. Force me fut d’alerter l’American Express pour les dégeler de là.

Mon passage à Rome en ce printemps de 1931 ne sera pas celui d’un touriste. Le bon Père Leduc me tient et me prend pour un diplomate de carrière. Il me croit de taille à discuter de nos problèmes avec les plus hautes autorités. Il m’a ménagé des