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cinquième volume 1926-1931

points du continent où s’est écrit le destin de l’Amérique du Nord. Et que d’autres destins !…

Ces jours de fête devaient finir comme tous les autres. Il fallait prendre le chemin du retour. Mes compagnons de voyage rentraient à Boston en bateau, par le golfe du Mexique et par l’Atlantique. Pressé de rentrer chez moi où ma besogne en retard m’attendait, je pris le chemin de fer par l’est américain. En route, j’ébauchai pour Le Devoir, un article : « Quelques impressions de voyage ». L’article parut, ai-je dit, dans le journal du 25 avril 1931. Il résume assez justement, je crois, ce que j’avais vu et ressenti, au cours de cette magnifique randonnée. Je le transcris ici :

Quelques impressions de voyage

J’arrive de Louisiane. Comment résumer d’un mot mes impressions de voyage ? Émerveillement ! Un émerveillement qui n’a cessé de grandir et qui nous est venu du pays et de la population.

Dès le départ de Chicago, nous sommes aux portes septentrionales de l’ancienne Louisiane, celle du régime français : le pays des Illinois. On sait que ce pays s’étendait de la rivière Illinois à l’Ohio et que, borné à l’ouest par le Mississipi, il s’enfonçait dans les terres, jusqu’à deux cents lieues, du côté de l’est. De chaque côté de la voie ferrée, une plaine vaste, opulente, se déroule indéfiniment. Pour sa richesse et son importance stratégique, le pays des Illinois resta longtemps un sujet de contestation entre le Canada et la Louisiane. Situé presque à mi-chemin entre Montréal et la Nouvelle-Orléans et colonie la plus florissante au sud-ouest des lacs, il était comme l’axe vital de cette immense charnière que figure alors en Amérique l’empire colonial français. En 1731, Beauharnois tenta vainement d’obtenir la rétrocession à la Nouvelle-France de ce pays qu’on en avait détaché en 1718. Le gouvernement louisianais refusa de se départir d’un territoire à blé, nécessaire, soutenait-il, à l’approvisionnement de la colonie mississipienne.

Comment ne pas regarder, avec beaucoup de mélancolie, ces vastes et riches territoires, autrefois possessions françaises, à la pensée que cette ancienne Louisiane constitue aujourd’hui 24 États de la république américaine et lui fournit 97 pour cent de son minerai de fer, 97 pour cent de son soufre, 95 pour cent