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sixième volume 1931-1939

là, pour opposer à la peur et à l’hypocrisie, le parler courageux et franc. En 1917, il récolte, comme candidat libéral indépendant au fédéral, sa première défaite ; en 1921, deuxième défaite au même titre ; en 1923, autre défaite, cette fois, au provincial contre l’honorable Taschereau ; en 1925, quatrième défaite d’un LaVergne devenu candidat conservateur au fédéral ; cinquième échec en 1926 sous le même drapeau ; enfin, en 1930, victoire du candidat conservateur dans Montmagny. Il se laisse porter à la vice-présidence des Communes : ce qui équivaut, en dépit de ses expresses réserves, à s’abstenir, en pratique, de toute participation aux débats.

Du reste, à ce moment, une grave maladie, suite d’un accident de chasse, le réduit peu à peu à l’impuissance. Mal terrible qui va faire, de ce grand et de ce fort, un demi-paralytique. Ses jambes ne le pourront plus porter. Armand LaVergne, si élégant et si beau, d’une démarche de grand seigneur, ne marchera plus que péniblement, avec des béquilles.

Mes relations avec Armand LaVergne

Mes relations avec lui remontent à cette dernière période de sa vie. Comment et pourquoi vint-il un jour vers un homme qu’il n’avait jamais rencontré, qu’il ne connaissait que par ses écrits ou ses livres ? La première lettre que je possède de lui est de 1922 : date où l’on peut retracer les premiers symptômes de l’évolution de Bourassa. Aux yeux de mon correspondant aurai-je incarné, prolongé certaines fidélités ? Le groupe de l’Action française auquel j’appartenais, figurait alors pour beaucoup le dernier refuge du nationalisme, celui qui avait refusé de se renier. LaVergne, j’ai raison de le croire, se sentait en outre tourmenté par la nostalgie de ce qu’il avait été. De ma part je ne pouvais arracher de ma mémoire l’image de cet homme, l’une des plus prenantes personnifications de son temps. Il était beau de tant de façons. En sa carrière politique, commencée si tôt et si brève, il avait fait preuve d’un cran si empoignant ; promis à tous les succès et à ce qu’on appelle les « honneurs », il avait tout sacrifié, on le savait, pour rester fidèle à soi-même, à ses convictions,