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mes mémoires

pour le corriger. LaVergne reprend : « Qu’on m’arrête demain, si l’on veut, pour le crime de haute trahison. Entre la haute et la basse trahison, celle qui consiste à trahir l’Empire ou son pays, je choisis la haute et ne redoute pas les conséquences de mon acte. »

C’était un orateur romantique, a-t-on dit. On a dit vrai. Il savait exposer, argumenter sèchement comme un avocat ; il ne dédaignait pas les morceaux de bravoure ; il aimait panacher peut-être un peu trop certains passages ou fins de ses discours. Mais, en ces moments, son port de tête prenait je ne sais quelle impressionnante fierté. Qu’on me permette de citer encore ce passage de son discours au cinquième anniversaire du Devoir, passage typique de son genre d’éloquence :

Vous ne savez pas ce qu’il en coûte parfois de rester fidèle au programme nationaliste, vous ne savez pas ce qu’il faut souffrir parfois pour ses idées. Il faut combattre pour elles tous les jours, le matin, le soir, la nuit ; et il y a autour de soi des êtres que l’on voudrait tant savoir heureux, à qui on voudrait donner tout le bonheur, et que l’on est obligé de priver pour mieux servir la cause et pour mieux la voir triompher.

Vive émotion ! ponctue le compte rendu du discours. Mais qui n’a pas vu l’attitude de l’orateur, entendu le tremblement de sa voix, ne peut se figurer jusqu’à quel point, ce soir-là, l’auditoire fut secoué. Dans L’Action nationale de juin 1935, je relis l’article qu’André Laurendeau consacre à LaVergne, quelques mois après sa mort. L’orateur y est décrit tel qu’il apparaît, en la salle du Gésu, un jour de 1932, à une assemblée de ceux-là qui s’appelleraient bientôt les Jeune-Canada. LaVergne se hisse péniblement sur l’estrade, appuyé sur ses béquilles. La salle debout acclame le grand infirme. Et lui, dressé sur ses jambes tremblantes, agrippé de son mieux à la petite table du centre, jette à la foule ces petites phrases :

Vous devez comprendre l’émotion très profonde qui m’étreint en ce moment, en revenant, après vingt-cinq ans, dans cette salle où a pris naissance, en 1908, la campagne de revendication française… Si les années ont passé, si le front s’est dénudé, le cœur est resté jeune, l’âme sereine ; et la doctrine n’a pas changé. Ce soir, je confie aux jeunes la barque que j’ai mise à l’eau il y a