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sixième volume 1931-1939

lac Archambault, ils ne ménageaient guère leurs haltes à L’Abitation. À peine eurent-ils vent qu’en mes loisirs je m’adonnais encore à la composition d’une œuvre romanesque, que tout de suite ils en exigèrent la lecture en primeur. C’était me présenter un stimulant. Je précipitai davantage la rédaction d’Au Cap Blomidon. Pour ceux-là qui ne m’ont pas lu — et heureusement c’est la grande foule aujourd’hui — je rappelle brièvement l’intrigue ou le sujet. Au cours de mon voyage de 1915 en Acadie, et surtout devant les magnifiques prairies de la Grand’Prée, maintes fois j’avais éprouvé la douloureuse surprise de ne découvrir, dans l’esprit des jeunes Acadiens, ni l’espoir ni le désir de reconquérir un jour le patrimoine des ancêtres. L’idée, la charpente d’Au Cap Blomidon sont sorties de là. La scène se passe tantôt au lac Archambault, tantôt à la Grand’Prée : ce qui m’a permis d’emprunter paysages et personnages à deux milieux sociaux et à deux pays bien différents, mais que j’avais pu connaître, observer. J’imagine, en effet, un jeune descendant d’Acadien, refoulé par les remous du Grand Dérangement jusque dans les Laurentides, à Saint-Donat. Et voici qu’un jour, en son âme de collégien, s’allume le désir d’un pèlerinage au pays des aïeux. Le pèlerinage engendre un autre désir : celui d’aller ressaisir, coûte que coûte, la terre de ses pères : conquête où se déroulent trame et péripéties du roman. On le pense bien, j’utilisai abondamment notes et souvenirs de mon voyage de 1915. Pour me renseigner sur la pomiculture en Nouvelle-Écosse, je fis venir des brochures du gouvernement d’Ottawa. La scène du dénouement au cap Blomidon, je l’ai constituée d’après l’ascension que mon compagnon de voyage, le « Petit Père » Villeneuve et moi-même, avions faite. C’est là, au sommet du cap, qu’un magnifique après-midi d’août, assis tous deux sur un tronc d’arbre renversé, face au bassin des Mines, aux falaises couleur d’ocre rouge, à tout l’horizon de la Grand’Prée, j’avais lu à haute voix, avec émotion, émotion partagée par mon ami, quelques pages évocatrices du poème de Longfellow. Ce sont ces mêmes pages que le héros du roman, Jean Bérubé dit Pellerin, lira à son cousin Paul Comeau, au cours d’un pèlerinage au même endroit.

À l’été de 1932 j’ai pratiquement terminé Au Cap Blomidon. Un jour de ce même été m’arrive à L’Abitation, une grande visite :