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sixième volume 1931-1939

de la fraîche poésie des moindres détours, du changement inattendu et toujours nouveau de ses tableautins. J’imaginais ce qu’en aurait écrit un Chateaubriand venu rêver en ce pays d’Amérique, si neuf et si prenant. Je me rappellerai de même le bain de sérénité qu’après les fatigues de mes travaux d’histoire m’apportait, surtout du balcon de ma petite chapelle, la vue des montagnes encore coiffées de leur forêt. Quel spectacle reposant que celui de ces pans de ciel, de terre et d’eau ! Vers l’heure du midi, la crête des monts se parait d’une buée d’or ; du point où j’étais, pas un vestige de civilisation humaine ne venait me distraire ; pas une route à travers les fourrés, pas l’ombre d’une maisonnette ; rien qu’une nature restée intouchée en sa sauvage beauté ; et, pour ajouter à mon émotion et relever encore le paysage, à cinquante pieds au-dessous de moi, au bord de la falaise, une sorte de rythme musical, le clapotement des eaux du lac. Et tout autant, ai-je aimé mes personnages d’Au Cap Blomidon : Jean Bérubé, Paul Comeau, la fine et discrète Lucienne Bellefleur, son père, ce colon rugueux, les Finlay ; je me suis pris à les aimer plus fort, à mesure qu’en mon esprit leurs traits se dessinaient plus nets, plus vifs. Quand il me fallut me séparer d’eux, longtemps ils sont restés en moi des hôtes familiers. Ainsi, après avoir lu quelque impressionnante biographie, aime-t-on se laisser hanter par des fantômes devenus chers qui sont en sorte quelque chose de vous-même.

L’Enseignement français au Canada, tome 2

Autre partie du manuscrit d’où j’ai tiré Le Français au Canada. Ce second tome, intitulé Les Écoles des minorités, paraît à l’automne de 1933. Volume massif, in-octavo de 271 pages. « Un livre dont on ne parlera pas », écrit Armand LaVergne dans un article à L’Action catholique (18 janvier 1934), article d’une parfaite violence, bourré de trop d’épithètes et de trop de mots d’accent polémique. LaVergne a tant souffert en nos débats scolaires. Il en a gardé une rancune sans merci aux politiciens flanchards. Ce second tome sur L’Enseignement français au Canada m’a coûté non moins de travail que le premier. Il m’a fallu compulser journaux et brochures du temps, me débrouiller de mon mieux en des