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sixième volume 1931-1939

geste m’étonne, me renverse. Avec de menus précautions et ménagements, et tout un déploiement de diplomatie, tellement ils me paraissent résolus, butés en leur décision, je m’emploie à dissuader ces jeunes de leur esclandre.

— Vous serez fatalement arrêtés, appréhendés par des passants, sinon par la police. On vous conduira au poste, on vous fera un procès. Dans leur atonie actuelle, l’opinion, les journaux vous donneront tort. On parlera de « jeunes fous ». Vous serez condamnés ; vous ferez de la prison. Pas longtemps peut-être… Mais après, quelle université vous ouvrira ses portes ? Et alors votre carrière ! Avez-vous le droit de la briser ? Et pour une manifestation d’efficacité fort problématique ?

Je n’eus pas l’heur de convaincre mes jeunes visiteurs. Ils ne s’attendaient point, de ma part, et ils me le firent sentir, à tant de pusillanimité. Et, en effet, dois-je l’écrire ? Un homme à qui je racontai le lendemain mon entrevue de la veille, un homme, la modération même, me donna tort :

— Non, me dit-il, vous auriez dû les laisser faire. On les aurait appréhendés, emprisonnés. Mais combien de temps les aurait-on gardés en prison ?

Et cet homme s’appelait Omer Héroux. Quant à moi, je ne me croyais pas si modéré. Après de longues argumentations, je gagnai pourtant du terrain. Et je finis par tenir à peu près ces propos à mes jeunes amis :

— Non, il y a mieux à faire. Vous autres, les étudiants, vous ignorez une chose : vos prises sur la jeunesse, sur l’opinion. ― C’était vrai en ce temps-là ―. Au lieu de votre esclandre peut-être vaine, que ne faites-vous appel à la jeunesse universitaire, à la jeunesse tout court, pour un réveil, un soulèvement général ? Lancez un manifeste ; dénoncez la honte, les infamies où l’on nous fait croupir. Tâchez d’atteindre vos jeunes camarades, vos jeunes compatriotes, par où vous les savez accessibles. La jeunesse, vous n’ignorez point comme elle est inquiète, combien elle souffre à piétiner ainsi qu’elle fait depuis trois ans ; montrez-lui que des fenêtres peuvent s’ouvrir, des portes aussi, même s’il faut les enfoncer. Essayez en tout cas. Et vous me donnerez des nouvelles de votre tentative…