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sixième volume 1931-1939

Les Jeune-Canada ont vécu, et ils ont beaucoup travaillé. Et ce qui, peut-être, les distingue particulièrement, c’est qu’ils ont porté du côté de l’étude, le gros de leur effort…

Il y a assurément dans notre jeunesse un mouvement de réveil. Cela s’exprime sous les formes les plus diverses, mais paraît au fond dériver d’un même sentiment : le désir de faire quelque chose de grand, de redresser le courant de la vie nationale.

Les Jeunesses patriotes qui prirent, en quelque sorte, la succession des Jeune-Canada, publiaient, en février 1936, un numéro spécial qui m’était dédié. Leur journal portait ce nom flamboyant : L’Indépendance. À la page 3, deuxième colonne, on peut y lire ce témoignage de Walter O’Leary : « Les Jeune-Canada, je le proclame hautement, ont été les précurseurs et les promoteurs du réveil national. » Les Jeune-Canada n’ont pas toutefois moissonné sans se piquer les doigts à de vigoureux chardons. Attaqués, dénoncés tour à tour, les politiciens des deux partis ont rapidement fait le vide autour d’eux. Des oppositions plus sensibles se sont dressées. C’était le temps où des théologiens plus ou moins improvisés commençaient d’opposer l’action nationale à l’action catholique. Vue courte, vue malheureuse qui nous aura fait tant de mal, aura déraciné toute une génération de jeunes Canadiens français, sans les rendre, pour cela, il fallait s’y attendre, plus catholiques. Une « Lettre ouverte des Jeune-Canada à l’abbé Groulx », parue dans Le Canada du 2 novembre 1935, à propos de mes Orientations qui viennent de paraître, contient ce passage significatif :

Nous le notons avec infiniment de plaisir : vous n’êtes pas de ceux qui nous donnent à choisir entre notre catholicisme et notre patriotisme. Vous ne vous ingéniez pas à imaginer entre l’action catholique et l’action nationale une incompatibilité foncière, au risque de provoquer parmi la jeunesse un mouvement extrêmement dangereux. Votre catholicisme intégral, aéré, sait concilier tous les devoirs.

Hélas, deux fois hélas, et encore une fois, qui dira le mal que nous aura fait l’invention de ce dualisme entre le patriote et le catholique. À l’heure où j’écris ces lignes, octobre 1958, je viens de dénoncer, dans un discours à Saint-Timothée, les conséquences funestes, à travers la vie de notre peuple, de cette singulière doctrine. C’était sans doute pour calmer des inquiétudes déjà naissan-