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mes mémoires

institué aucune politique de même nature, c’est-à-dire canadienne-française. Et voilà pourquoi, puisque vous tenez à le savoir, elle ne va pas vers vous.

Mon visiteur paraît de nouveau interloqué. Il risque pourtant cette naïveté :

— Mais quand, en 1870, sir George-Étienne Cartier disait aux Canadiens français du Québec : « Allez-vous-en dans l’Ouest. Allez vous établir au Manitoba », ne donnait-il pas une consigne nationale ? Si nous avions formé là-bas une deuxième province française, est-ce que les Canadiens français ne parleraient pas plus fort à Ottawa ?

Je dus lui administrer une petite leçon d’histoire canadienne :

— Mais où donc avez-vous découvert cette consigne de Cartier ?

— Dans De Celles, en son LaFontaine et Cartier.

— J’ignore si De Celles a jamais prêté cette consigne à Cartier. Mais si l’historien l’a fait, il a écrit proprement une fausseté.

Et je continuai :

Mgr Taché, l’archevêque de Saint-Boniface, a remué ciel et terre pour déterminer une émigration du Québec vers le Manitoba. Quant à Cartier, savez-vous quelle fut sa conduite en 1870-72 ? On le dit, et à bon droit, je pense, l’auteur de l’Acte du Manitoba. L’œuvre est excellente. Les droits scolaires des catholiques et ceux de la langue française y sont définis et garantis par des textes amples et clairs, plus complets que les articles 93 et 133 de la Constitution canadienne. Mais pour mettre à exécution cette législation, quel personnel politique sir George laissa-t-il partir pour la Rivière-Rouge ? Un personnel entièrement protestant et de langue anglaise, depuis le lieutenant-gouverneur, William McDougall, jusqu’au plus humble fonctionnaire. Un seul Canadien français : un Monsieur Proven-