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mes mémoires

suffisamment intelligent, esprit vif, surtout retors, mais capable du plus beau patinage de fantaisie autour des plus graves problèmes. Esprit superficiel en somme et de combien peu d’élévation ! Quelques années à peine plus tard, le cardinal Villeneuve confirmera mon jugement. M. Duplessis, devenu premier ministre, s’était trouvé aux prises avec je ne sais plus quel conflit ouvrier. Il avait manœuvré maladroitement. L’opinion, la presse avaient réagi avec une extraordinaire vigueur. L’affaire se gâtait. Dans l’entourage du premier ministre, l’alarme devint générale. Aux gros bonnets du parti une seule solution s’offrait : obtenir, coûte que coûte, un arbitrage où l’arbitre serait le cardinal Villeneuve. En un cas semblable, les libéraux avaient procédé de même, avec le cardinal Bégin, et s’en étaient bien trouvés. D’ailleurs, c’est fait connu : les politiciens mal pris ont toujours aimé se réfugier derrière une soutane. M. Duplessis n’a jamais appris à douter de soi ; il répugnait obstinément à la démarche auprès du Cardinal. Mais les hauts gradés du parti, ai-je entendu dire dans le temps, ne l’entendaient pas de la même oreille ; ils forcèrent la main du premier ministre. M. Chapais s’en serait lui-même mêlé. La démarche s’accomplit. Je me trouvai de passage à Québec presque au lendemain de la rencontre des « deux Grands ». Selon mon habitude j’allai saluer Son Éminence. Il me souffla naturellement un mot de sa récente entrevue. Je crois rapporter textuellement son impression sur l’homme politique : « On me dit que c’est un grand avocat ; ce n’est sûrement pas un juriste. Mais, hélas, en sociologie, d’une ignorance navrante. » Rappellerai-je un autre souvenir assez cocasse qui confirme ce jugement du Cardinal ? C’est le même premier ministre qui tenait un jour à Henri Groulx, secrétaire de la province dans le cabinet Godbout, ce propos que mon ami et voisin d’Outremont me rapporta : « Toi, Groulx, je crois bien que tu n’as pas lu un livre depuis ta sortie de collège. » Et, comme l’ami Groulx hésitait, l’autre enchaîna : « Moi, non plus, tu sais ; mais avec notre belle formation classique, on est propre à tout, n’est-ce pas ? » Mots