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mes mémoires

qu’ils se croient appelés, qu’ils sont prêts à donner leur vie. Pour l’heure, le plus en vedette, c’est le récent et jeune maire de Québec, J.-Ernest Grégoire. Qui est-il au juste ? Que vaut l’homme ? À l’Université Laval, il enseigne, je crois, quelque partie de la sociologie. On le dit d’une certaine puissance oratoire sur les foules. En tout cas, contre la vieille clique libérale, il vient de conquérir l’hôtel de ville de Québec. J.-E. Grégoire est l’un des espoirs de la jeunesse. Méritait-il cette belle confiance ? Par son caractère, sa propreté de conscience, assurément. Par ses valeurs d’esprit, son sens politique ? On se prend à douter. On se demande, en tout cas, par quel hasard, pour quelles raisons cette carrière ouverte de façon brillante, tourne court soudainement, puis aboutit à l’effacement de l’homme. Il échouera dans sa réélection à la mairie de Québec ; il échouera dans ses légitimes aspirations au sein de l’Union nationale. J.-E. Grégoire dépensera bientôt les meilleures années de sa vie à propager les théories fuligineuses du Crédit social. Il y usera sa santé. Il rentrera dans l’ombre et l’impuissance.

Philippe Hamel

Un autre, plus que le maire de Québec, méritait de prendre la vedette : le Dr Philippe Hamel. Un biographe devra nous dire, un de ces jours, par quelles influences, quels appels intérieurs, ce dentiste d’une clientèle de gros bourgeois, de grands mondains et mondaines, en vint peu à peu à s’évader de son studio pour se jeter dans la mêlée politique. Nul intérêt, nulle ambition personnelle ne l’y portaient. Je relève ce passage de l’une de ses lettres (10 septembre 1936) : « Je ne veux pas me dérober aux responsabilités et agir en lâche. Je ne voudrais rien faire qui fût inspiré par l’ambition et l’honneur d’être au pouvoir. J’ai l’impression nette que la tâche me dépasse. Je préférerais beaucoup servir modestement à un poste moindre. » L’homme était beau, aussi beau de caractère que de sa personne. Belle tête, œil étincelant sous le binocle qu’il portait élégamment, puis de la sveltesse, la prestance d’un sportif. Comme Armand LaVergne, Philippe Hamel avait quelque chose du paladin. Et l’on peut écrire de lui telle