Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
mes mémoires

à ma droite, tout près de moi. Debout, fort ému, peu en voix, je prononce trois ou quatre phrases d’exorde que j’ai oubliées, sauf la première : « Vous me croirez, j’en suis assuré, si je vous confie qu’il n’est jamais entré dans mes rêves d’enfant, même les plus extravagants, de venir un jour faire un cours en Sorbonne… » Je renvoie naturellement le mérite de l’invitation à l’Université de Paris et à la France, mère hospitalière à tous ses fils, si éloignés d’elle et si petits qu’ils soient. Ces quelques mots paraissent plaire à l’auditoire. Et je me sens ranimé par je ne sais quel feu intérieur. Assis, j’entame tout de suite ma première leçon : « L’Enseignement en Nouvelle-France au XVIIe et au XVIIIe siècles ». En ce début, je heurte bien quelques préjugés, entre autres, comme le fera remarquer un journaliste de Paris-Canada, le préjugé d’une monarchie qui se serait « montrée d’une dédaigneuse négligence à l’égard de sa jeune colonie ». Au bout d’une heure, quand j’ai fini, j’ai quelque peu l’impression d’avoir gagné la partie. En tout cas, j’ai gagné mon ministre. Il me serre fortement les mains. Et, de ce jour, il ne cessera de me traîner un peu partout, dans les plus grands salons ; il ne saura quelles amabilités me prodiguer. À mon retour au Canada, Édouard Montpetit me dira : « Je vous félicite en particulier d’avoir conquis notre Ministre. » Et j’apprends alors le pourquoi de la froide réception qu’on m’avait d’abord réservée au Commissariat. Ce bon monsieur Roy, ancien journaliste dans l’Ouest, marié à une Anglo-Protestante qui ne l’avait pas fortifié en son catéchisme ni même en sa foi, ne pouvait digérer qu’après l’abbé Émile Chartier, l’Institut franco-canadien renvoyât à Paris un second abbé : « Mais comment, aurait-il écrit, vous savez fort bien qu’un ecclésiastique français ne peut enseigner en Sorbonne. On vous accorde un privilège. Et vous en profitez pour ne dépêcher en France que des abbés. » Mon premier cours fini, j’eus le spectacle d’un ministre tourné bout pour bout. En me quittant ce soir-là, il me dit : « J’envoie ce soir même un câblogramme au Canada. On verra comme je suis content. » Le câblogramme fut rédigé, en effet, en termes très élogieux. J’écrivis à ma vieille maman que je savais inquiète et qui, dans sa chaise roulante, avait dû réciter bien des Avés pour que son pauvre fils ne fît pas trop le déshonneur de la famille :