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même contenu, selon qu’il tombe sous l’observation d’un historien chrétien ou d’un historien agnostique ou protestant. Donc la neutralité ne peut être absolue ; elle se révèle impossible dans les sciences qui touchent à l’homme. La dualité nationale ou ethnique ou culturelle au Canada évoque une philosophie différente, de part et d’autre, de la vie, de l’homme, de la liberté, du droit. Des deux côtés de la barrière, l’on n’attache pas égale importance à ces biens fondamentaux pour tout peuple. Preuve en est le sort fait aux minorités dans le Québec et dans les autres provinces canadiennes. Que l’on entend peu, d’un certain côté, l’attachement que portent les Canadiens français à l’école confessionnelle, à leur langue, à leur culture originelle. Mais alors comment un manuel unique d’histoire pourrait-il concilier ces divergences fondamentales ? Un manuel unique serait inutilement désagréable à tous. Il ne rendrait justice ni aux uns ni aux autres. Et alors quel facteur d’unité pourrait bien constituer un enseignement d’histoire qui ne plairait à personne ? À quoi tendre pratiquement ? À nous efforcer de comprendre nos points de vue, mais à nous mettre bien en tête qu’il existe, au Canada, des diversités foncières, diversités religieuses, nationales, que l’histoire n’est pas en puissance de supprimer, et qu’il n’est pas souhaitable qu’elle les puisse jamais supprimer.

L’Action nationale (mai 1950) reproduisit, sur le sujet, l’opinion de plusieurs historiens anglo-canadiens. « On remarquera avec surprise, y lit-on, que tous les historiens anglo-canadiens consultés s’opposent au manuel unique. » Débat clos, pensera-t-on. Hélas, l’engeance des esprits chimériques ne cessera jamais de renaître comme certaines têtes de l’hydre. Il y aura toujours des Canadiens français friands du plat de lentilles.

Ma trentième année d’enseignement à l’Université

Les années passaient. En 1945 j’atteignais ma trentième année d’enseignement à l’Université de Montréal. Tenterai-je d’expliquer ces manifestations suscitées par l’anniversaire, ce concert d’hommages que l’on fera pleuvoir sur ma pauvre tête ? Une seule explication se présente, à mon sens, et toujours la même, si fastidieux qu’il soit de le répéter : joie, reconnaissance d’un peuple à qui l’on a réappris quelque peu son histoire. Histoire en passe de devenir