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réal. Nous avons échangé nos ouvrages. Vrai gentilhomme, M. Chapais ne paraissait point s’offenser de nos dissentiments. Il m’écrivit même un jour : « En histoire, vous savez, il y a souvent place pour deux opinions. » Or, dis-je à Barbeau, M. Chapais n’est plus. Si j’entreprends de définir l’homme et l’historien, je ne puis le faire sur le ton de la nécrologie. Il me faudra juger. J’aurai l’air de diminuer un concurrent. Mais Barbeau insiste si bien que je finis par rédiger le portrait. Je le fais aussi consciencieusement que possible. Y ai-je jeté quelques traits trop malicieux ? L’article paru, je rencontre mon bon ami Alain Grandbois, Québécois authentique. Il me dit : « J’ai craint un moment ce portrait. Barbeau m’avait dit : “L’abbé Groulx descend Chapais.” Non, vous ne l’avez pas descendu. Vous avez été sévère, mais juste. » Seulement, il y avait alors à Québec, un haut fonctionnaire officieux, très officieux, qui ne s’était trouvé ni de l’Académie canadienne-française, ni de l’Institut d’histoire de l’Amérique française. Or, vous n’ignorez pas, me raconteront dans le temps Minville et Barbeau, que ce personnage n’aime guère les œuvres dont il n’est point. Il connaissait le faible du premier ministre Duplessis. Celui-ci avait voué à M. Chapais, conservateur et bleu de la vieille école, une dévotion, un culte presque de dulie. Or le personnage ci-haut désigné, bien au courant du chèque de $500, émis en faveur de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, aurait cru, sans doute, de bonne politique de faire voir à M. le Premier Ministre, l’article de Liaison. M. Duplessis, on le sait, ne lisait rien. Mais mis au courant de l’affreux contenu de l’article, le brandit, m’ont encore raconté mes deux informateurs, en plein Conseil de ses ministres, en s’écriant, la face presque crispée : « Écrire des choses comme ça, quand on tend la main ! » Et les augustes mains de M. le Premier auraient, séance tenante, déchiré le chèque de $500. Et voilà comment, deux ans plus tard, les fonctionnaires du Trésor recherchaient encore ce no 258793. Ma tentation fut grande, à l’époque, je le confesse, de passer tout le dossier de l’amusante affaire, au journal Le Devoir. Voit-on un peu la tête du