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septième volume 1940-1950

le document d’archive ou la source manuscrite ; elle ne saurait pour autant négliger la source imprimée. Donc instrument indispensable qu’une bibliothèque à qui n’est pas attaché à une institution en état de l’en fournir. Instrument indispensable qui évite les énormes pertes de temps qu’occasionne une course aux bibliothèques publiques pour la consultation d’ouvrages de fond, ou de spécialistes, parfois même pour la simple vérification d’une date ou d’un prénom. D’autre part, une bibliothèque d’historien doit être assez considérable depuis que se sont notablement élargies les perspectives de l’histoire, et qu’obligé à la reconstruction intégrale du passé, l’historien est presque tenu à une sorte d’érudition encyclopédique. Or, à Montréal, en 1915, il faut bien se rendre à cette triste ou bizarre réalité, qu’un professeur d’histoire à l’Université enseignait dans une université encore sans bibliothèque ou médiocrement équipée, tout au plus, de quelques rayons de livres pour le professeur de droit et le professeur de littérature. Une seule bibliothèque publique s’offrait au chercheur, celle de Saint-Sulpice, qu’Aegidius Fauteux s’efforçait d’équiper de son mieux. Je revois encore, à gauche, dans la salle d’étude, le petit enclos mis à ma disposition et où, descendu du presbytère de Saint-Jean-Baptiste, puis du Mile-End, j’ai passé tant de jours et tant de soirées à excursionner dans l’immense friche de l’histoire canadienne. M. l’abbé Adélard Desrosiers, il me faut aussi lui rendre ce témoignage, me ménageait le plus cordial accueil à la bibliothèque de l’École Normale Jacques-Cartier, fort convenablement pourvue jadis par les abbés Verreau et Dubois.

Entre-temps, avec les modestes ressources que me rapportait mon enseignement à l’École des Hautes Études commerciales, où, selon la mode d’alors, réputé omniscient, j’enseignais l’Histoire du Canada, l’Histoire universelle et l’Histoire du commerce à travers les âges, je m’employais à constituer ma bibliothèque. Travail forcément lent, par la rareté, sur le marché, des vieux Canadiana ou Americana. Il faut guetter, attendre l’occasion. Et aussi parce qu’avec le réveil de la curiosité publique pour l’histoire, une inflation se produisit, une hausse des prix sur cette sorte de marchandises. Toutes circonstances qui permirent à la Librairie Ducharme de s’ouvrir et au bon M. Ducharme de se montrer très condescendant pour le débutant que j’étais. Je me rappelle qu’un jour il consentit à me vendre la précieuse collection Thwaites des Relations des Jésuites, 73 vol., un peu endommagée, il est vrai, par le feu, à un prix de rabais de $300, somme que je lui