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septième volume 1940-1950

Nous le voulons autonome. Et il le sera dans sa mystique et jusque dans son nom : « Éclaireurs canadiens-français ». Nous étions alors quelques-uns à penser et à croire fortement que, sans s’isoler, le Canada français devait s’attacher à ses institutions originales. En fortifiant puissamment son particularisme, il pourrait réaliser sa mission de peuple catholique. Plutôt que de courir le risque de se diluer en copiant le voisin, sa tâche serait de sauvegarder son entité propre, dans ses essentielles caractéristiques. Et c’est ainsi qu’il lui serait possible de se donner une culture et une civilisation en état de démontrer la vigueur et la santé d’un peuple fidèle à sa foi et à ses traditions culturelles. Le mouvement scout prend bien vite de l’envergure et de la force. Quels mauvais génies ont pu alors circonvenir le Cardinal ? Lui-même se laissa-t-il gagner peu à peu par l’idéologie du large canadianisme alors fort à la mode dans le monde des politiciens ? Un jour l’on apprend qu’il négocie la fusion des « Éclaireurs » avec le scoutisme international de Baden-Powell. Ai-je déjà raconté cette histoire plus haut ? Je sais de bonne source que l’Archevêque de Montréal, d’autres évêques s’opposaient fermement au projet. On rédigea des mémoires à l’encontre. Le scoutisme venait d’être promu au rang de groupe d’Action catholique. Et l’on choisissait ce moment-là pour l’intégrer au scoutisme international. L’intégration n’offrait nul intérêt financier, ni nul autre avantage que d’arborer désormais l’Union Jack et d’accepter le costume kaki. Le Cardinal n’en imposa pas moins sa volonté. Et la fusion s’accomplit. Il prononçait, nous l’avons vu, le 18 avril 1941, à Toronto, devant l’ « Empire Club », un discours où, à côté de revendications courageuses, il exprimait avec ferveur sa « loyauté profonde envers notre Souverain, le Roi George VI et envers ce vaste Empire dont nous sommes fiers et heureux de faire partie ».

Y a-t-il dès lors et depuis quelques mois, évolution dans l’esprit du Cardinal ? On se prend à le soupçonner, même parmi ses contemporains de l’Ordre des Oblats. Céderait-il à la prudence des habiles, à certain goût de la popularité dans le grand monde officiel ? Le soir où il prend le train à la gare Windsor, pour se rendre à Rome, recevoir le chapeau de cardinal, le Père