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mes mémoires
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réactions du grand vicaire, homme d’ordre par excellence, jeté soudain en ce désordre.

Ce désordre, l’Archevêque, déjà malheureux, nous l’avons vu, en presque tous les postes occupés par lui, le transportera dans une sphère plus dangereuse. Que s’est-il passé entre lui et ses collègues de l’épiscopat québecois ? Nous en sommes réduits aux conjectures. Fait bien connu néanmoins : il se met, en peu de temps, tous ses collègues à dos. On n’introduit point impunément, dans ces vénérables corps qui craignent moins les excès de la prudence que ceux de la pétulance, un élément trop étranger, un coureur pressé de vitesse, même au risque de rouler dans le fossé. Dans le char qui emporte la sainte Église, il y a toujours, et c’est heureux, une roue du char mérovingien. Mgr Charbonneau avait une mentalité d’évêque ontarien. Il n’a jamais pu ni su se donner, peut-on dire, l’esprit québecois. Il se sentait mal à l’aise, dépaysé en son nouveau milieu. Comme tous les évêques des provinces à majorités protestantes, habitués à se voir marchander la liberté, nullement chefs d’un peuple catholique vivant chez soi, en masse compacte, en pleine possession de ses droits, le nouvel Archevêque de Montréal comprend mal les institutions du Québec. Il en déteste le droit paroissial ; il ne comprend point, dans l’enseignement, la large part faite à la culture française. Les traditions les plus chères de son nouveau milieu, les plus hautes exigences politiques et culturelles de ses compatriotes canadiens-français l’ont toujours trouvé peu compréhensif. De là ses heurts avec ses collègues de l’épiscopat sur maintes affaires de discipline, d’enseignement et même des questions plus graves. Grand nerveux, irritable à l’excès, il se laisse aller à des colères et aux plus déplorables excès de langage. Un homme aussi modéré que l’évêque de Valleyfield, Mgr J.-Alfred Langlois, la courtoisie et la politesse mêmes, me confiera un jour, et son sentiment, ajoutera-t-il, est aussi celui de l’évêque de Joliette, Mgr Arthur Papineau : « Pour ma part, je ne peux plus aller à ces réunions d’évêques, si l’Archevêque de Montréal s’y trouve. Entre nous, nous discutons parfois très fortement ; Mgr Desranleau, de Sherbrooke, y va vigoureusement, mais toujours en gentilhomme ; l’autre — et “l’autre”, c’était l’Archevêque de Montréal — nous injurie si grossièrement que je sors de là énervé, malade. » À la suite de quelques-unes de ces altercations, l’Archevêque montréalais prend la résolution de se tenir