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mes mémoires

convertir à la CCF ? » Le même jour, après le dîner au Grand Séminaire et pendant la récréation du midi, encore naïf, je crois de mon devoir d’aller faire part de mes sentiments à l’Archevêque. Je m’autorise de la confiance qu’il m’a jusqu’alors manifestée. « Je ne vous cacherai point, lui dis-je, l’émoi soulevé par votre causerie de la matinée. » L’Archevêque fronce déjà les sourcils. « Bien, me dit-il, je suis inquiet pour nos ouvriers ; entre les mains de qui vont-ils tomber ? » À ce moment, je n’y tiens plus et je lui déclare avec peut-être trop de franchise le motif qui m’a surtout amené chez lui : « Précisément, Excellence, voilà qui scandalise nos meilleurs économistes et sociologues, tels qu’Édouard Montpetit, Esdras Minville, François-Albert Angers et autres ; ils n’arrivent pas à comprendre que les catholiques canadiens se tiennent constamment à la remorque des doctrines étrangères les moins recommandables et les plus aventureuses, comme si l’Église ne possédait point sa doctrine sociale, capable de guérir tous nos maux. » L’Archevêque me regarde de son air le plus glacial. Je n’ai plus qu’à m’excuser et à prendre congé. Je risque pourtant une dernière observation : « Excellence, j’ai peut-être commis un excès de confiance ; mais si des propos de cette nature vous ennuient, ne vous donnez pas la peine de me le faire savoir ; il vous suffira de me le faire sentir, et je n’y reviendrai plus. » L’Archevêque ne dit mot ; j’enfile la porte, me félicitant médiocrement de mon incurable naïveté.

Un autre jour, c’est en 1943, j’entends une apologie plus stupéfiante. Mon camarade de collège, l’abbé Sylvio Cloutier, ancien directeur de conscience de Mgr Joseph Charbonneau à Sainte-Thérèse, ai-je dit, nous réunit depuis quelques années, une dizaine d’amis, à son presbytère de Saint-Henri de Montréal. Il y a dîner et joyeuse causerie. On y fête l’anniversaire de naissance du curé. Tout à coup, au milieu du repas, l’Archevêque, fort en verve, se lance dans une apologie du communisme. Est-il sérieux ? Veut-il blaguer ? Je me le demande. Mais, oui, il est sérieux, très sérieux. Et le voilà lancé dans de larges développements empruntés sans doute à quelque propagande insidieuse. À l’entendre, le communisme a largement évolué ; il a rejeté le marxisme sanglant, sectaire, radical de Lénine et des grands maîtres de la révolution russe (à noter que nous sommes au temps de Staline). De gré ou de force, il s’est orienté vers un régime plus humain, plus adapté