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mes mémoires

On voudra m’en croire, je n’ai pas raconté cet épisode de l’histoire de l’Église canadienne, pour le malin plaisir de sauver de l’oubli quelques potins ou ragots. Je l’ai fait dans la persuasion d’être le seul peut-être à posséder, sur un fait de quelque importance, des témoignages authentiques. Que de fois m’a-t-on dit : « Vous écrirez, sans doute, ces souvenirs ? Ils feraient s’évanouir tant de sottises. » L’on a tant bavardé, en effet, échafaudé tant d’hypothèses sur cette déposition d’un archevêque de Montréal. L’on s’en est pris avec tant d’irrespect à Rome même dont la sévérité excessive aurait dépassé toutes les bornes. Un politicien que je ne veux point nommer n’a-t-il pas osé propager un doute sur les mœurs de l’Archevêque ? Certes, je n’ai nulle prétention de dire le dernier mot sur ce douloureux événement. Il faudra attendre l’ouverture des Archives de la Délégation apostolique à Ottawa et des Archives du Vatican. En ce que je viens d’écrire, on ne trouvera, il me semble, rien d’infamant contre mon ancien Archevêque, tout au plus un peu de lumière, un commencement d’explication, sur la catastrophe qui l’atteignait. C’était, à tout prendre, un très digne homme. Il ne manquait ni d’intelligence, ni de caractère. Il manquait dangereusement d’équilibre. À tous ceux qui m’ont demandé les véritables causes de sa déposition du siège de Montréal, j’ai toujours répondu : « Ni ceci, ni cela, mais tout un ensemble de faits, d’erreurs de conduite, de fausses manœuvres, d’idées irréfléchies, troublantes qui ont fini par émouvoir profondément ses collègues de l’épiscopat québecois, puis, après quelque temps, les autorités romaines elles-mêmes. Vais-je le redire ? Son infortune, le pauvre Archevêque la portait en soi, dans les déficiences de son être psychologique. Il aura été malheureux, il aura gâché sa vie partout où il aura passé. Sa fin n’a rien qui étonne pour qui se rappelle ses antécédents, ses déboires à Ottawa. On objecterait en vain l’excellent souvenir laissé à Hearst où il séjourna à peine un an. Il y a de ces hommes qu’on dirait marqués pour un mauvais destin. Mais à ceux qui ont manqué leur vie, il reste à la finir en beauté. Ce fut le grand mérite de l’archevêque Joseph Charbonneau. »

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