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mes mémoires

ses. Puis je reviendrais à l’Est. J’y trouverais Iberville, l’insurpassable Iberville, sillonnant les bords de l’Atlantique, conquérant Terre-Neuve, remontant vers le Nord et faisant de la baie d’Hudson, le théâtre d’incroyables exploits. Avant cela, j’aurais rencontré Jolliet et Marquette, La Salle, canotant sur le Mississipi et dressant contre les empiétements de l’Anglo-Américain, le gigantesque barrage. Pour écrire ces pages, j’utiliserais généreusement mes cours inédits d’histoire du Canada, cours publics surtout, que j’avais maintenus pendant vingt-cinq ans, à raison de cinq conférences pour chaque saison universitaire. C’est-à-dire que, pendant ce quart de siècle, bon an mal an, j’avais dû écrire un volume d’histoire. Et je me proposais de glisser ici et là, à la fin des chapitres, quelques pages d’archives et quelques extraits de mes écrits et discours, de ceux-là où j’avais tenté de faire ressortir les véritables aspects de notre histoire. Après tout, cette histoire, pourquoi l’aurais-je faite plus petite que ne l’ont vue un Parkman, en tant de ses ouvrages, et un Finley dans The French in the Heart of America ?

Fides accepta mon livre : on lui fit même l’honneur de l’admettre dans la collection Fleur de lys, alors dirigée par MM. Guy Frégault et Marcel Trudel. Le lancement eut lieu le 24 février 1958. Notre Grande Aventure n’obtint point le succès que j’avais espéré. De bons amis, Léo-Paul Desrosiers, Roger Duhamel, Jean-Marc Léger, quelques autres saluèrent élogieusement le nouveau venu. La critique officielle, celle qui fait le tri entre les œuvres qui comptent et celles qui ne comptent pas, resta muette. L’ouvrage paraissait à mauvaise heure. Une sorte de rage sévissait alors : celle de saborder, de jeter par-dessus bord le passé canadien-français. Une jeune école d’historiens fauchait gaillardement toutes les têtes qui lui paraissaient dépasser l’honnête médiocrité. C’est à peine trois ans plus tard, qu’à bout d’humeur, je jetais à l’auditoire de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, cette rude plainte : « Quand donc en finirons-nous, une bonne fois pour toutes, avec ce pessimisme amer, cette rage dont semblent possédés quelques jeunes esprits de chez nous, rage de tout saborder, foi, Église, histoire, rage aussi de nous diminuer, de nous avilir, de nous rendre encore plus petits, plus misérables que nous ne sommes ? » Dans Le Devoir du 11 avril 1961,