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mes mémoires

sauvée ? Quelle est la racine de tous nos maux ? Que pensez-vous de l’enseignement religieux chez nous ? De l’enseignement de l’Histoire ?… » Éternelles questions qui reviendront, sous une forme ou sous une autre, en presque toutes ces rencontres. J’ai conscience parfois qu’on me prend pour un homme figé, enfermé en son petit magasin d’idées, un bloc granitique que rien ne rapetisse ni ne grossit, et qui ne bougera d’éternité où le hasard l’a installé. Je me figure pourtant que mes idées marchent. Elles s’enrichissent de mes lectures, de mes réflexions. Ancrées sur quelques principes de fond, elles sont sensibles pourtant au vent qui passe, aux faces déconcertantes d’un univers en métamorphose. Peu à peu mes idées se sont concrétisées, renforcées sur quelques-uns des problèmes qu’on me soumet ; et par exemple, l’avenir, je m’en convaincs de plus en plus, n’est pas au régime fédératif au Canada, pays fait de trop grosses parties pour n’en point venir à rêver d’indépendance ou de quelque chose d’assez proche. De même, le problème économique me paraît-il, pour le Québec, d’une gravité sans cesse croissante. Je le dis au Petit Journal ; je le dirai à Jean-Marc Léger (Le Devoir, 24 déc. 1960) qui m’interrogera sur « la crise du français au Québec » ; je le dirai à André Laurendeau (Le Devoir, 24 oct. 1962) qui, lui, voudra savoir les origines de notre pensée, sur le même problème, au temps de l’Action française ; je le dirai à combien d’autres. À Jean-Marc Léger qui veut savoir les causes de « la crise du français », je fais un petit bout d’histoire : pureté de la langue reçue des ancêtres ; hâtive corruption dès la Conquête par l’introduction du bilinguisme politique et judiciaire. Langue de traduction trop en honneur. Aggravation soudaine après 1880 par l’industrialisation hâtive à l’anglaise et à l’américaine et par le déracinement dans les campagnes. Aggravation aussi par notre enseignement, notre idolâtrie du bilinguisme, notre culte de la langue anglaise prônée à outrance par nos pédagogues, nos politiciens, nos hommes d’affaires, ceux-ci nous prêchant de ne pas mêler le patriotisme et les affaires. À ce moment je prends hardiment la défense de notre petit peuple :

Je n’hésite pas à l’écrire : notre petit peuple, celui de l’usine, des quartiers ouvriers, est une grande victime, non un coupable. Qu’a-t-on fait pour lui ménager l’évolution, pour amortir le