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mes mémoires

Fallait-il cacher, pour tout cela, l’entrave apparemment infranchissable qui s’opposait alors à la pleine indépendance du Canada ? Et cette entrave, je l’apercevais en ce fait gros comme une planète « qu’entre la Grande-Bretagne et les autres membres du Commonwealth, il n’y a pas égalité de stature internationale, trop grande inégalité de risques à prendre, trop grande inégalité d’intérêts et de prestige à sauvegarder. En Égypte, dans l’Adriatique, aux Dardanelles, dans les Balkans, aux Indes, dans le Proche, le Moyen ou l’Extrême-Orient, en tous ces points névralgiques de l’Empire, sommes-nous prêts à lui dicter sa politique ? Et croyez-vous que le cabinet britannique accepterait que le Canada ou l’Australie, ou la Nouvelle-Zélande ou l’Afrique du Sud, osassent la lui dicter ? Au reste, en mettant les choses au mieux, la Grande-Bretagne peut-elle endurer que ses intérêts suprêmes dans toutes les parties du monde, soient placés sous la haute surveillance des Dominions, ou qu’elle ait à partager cette surveillance, alors qu’en pareil arrangement de la diplomatie du Commonwealth, ce serait la Grande-Bretagne, en définitive, qui aurait à consentir les plus grands sacrifices de souveraineté ? Au pis aller elle accepterait peut-être de prendre notre avis, à la condition de s’en passer et de continuer à jouer avec le feu, quitte à nous inviter ensuite gracieusement à aller éteindre l’incendie. »

Par ces arguments, entre quelques autres, je m’efforçais d’établir ma thèse : le Canada n’est pas un pays libre, ni ne peut l’être. Bien en veine d’audace, le conférencier de la Semaine sociale ne laisse pas néanmoins d’entrevoir quelque espoir. Jamais le Canada ne lui a paru davantage à la croisée des chemins. L’heure du choix suprême est venue. Une froide et impérieuse alternative s’offre au Dominion : ou « s’affranchir des dernières lisières du colonialisme, entrer comme État libre, absolument libre dans le monde international… ; participer peut-être aux guerres de demain qui ne pourront plus être que des guerres mondiales, mais y participer, cette fois, à l’exemple des jeunes pays, des trois Amériques, de notre libre décision, avec une chance plus grande par conséquent de proportionner notre effort à nos ressources, et avec un sens plus net des intérêts internationaux et des intérêts canadiens ; ou bien rester dans le Commonwealth, collés à la Grande-Bretagne, et puisque l’Empire, comme dit M. Borden — et