Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
septième volume 1940-1950

n’étant ni la première, ni surtout la seule dans l’esprit des deux races. Ensemble de causes, on l’avouera, d’une exceptionnelle gravité. Et qui alors pourra s’étonner des conclusions véhémentes auxquelles se livrait le conférencier :

Bref, à l’heure où nous sommes, rien ne divise tant les Canadiens que l’équivoque, le désaccord sur la réalité même de la patrie. Car l’honnête opinion vous dira que, sur les onze millions d’habitants du Canada, pas moins de sept millions [Canadiens français et immigrants] se voient contester le droit d’aimer par-dessus tout leur patrie naturelle, et ce, au profit de la patrie qu’il plaît à une minorité d’impérialistes de leur imposer.

Était-ce pour aboutir à ces misères, à ces retours vers le servage colonial que les « Pères » ont fait la Confédération ? Mesdames, Messieurs, je ne suis pas séparatiste, quoi que l’on ait dit et quoi que l’on persiste à dire. Je crois et j’enseigne à mes étudiants de l’Université de Montréal que la Confédération aurait pu être accueillie en 1867 comme une grande victoire française. Les maux dont nous souffrons, ai-je encore l’habitude de soutenir, tiennent moins aux institutions qu’aux hommes, je veux dire à l’espèce d’hommes qui, depuis soixante-seize ans, ont tenu ou plutôt galvaudé chez nous le rôle de chefs. Je crois toujours qu’une race intelligente et énergique et qui n’endurerait pas d’être trahie par ses politiciens, pourrait, en dépit de ce statut politique, vaquer, en toute liberté, au développement de sa vie totale, même économique. D’autre part, je ne crois pas trahir la pensée de fond de mes compatriotes, de ceux du moins qui se tiennent encore debout, quand je l’exprime par ces quelques formules : Nous voulons d’un pouvoir central à Ottawa, nous ne voulons point d’un pouvoir centralisateur. Nous ne voulons pas d’un Super-État dont le principal souci soit de démolir les États provinciaux. Rien au monde, et point surtout les intérêts ou les combinaisons des vieux partis ne nous feront rester dans la Confédération, pour y tenir le rôle d’une Cendrillon ou pour permettre aux hommes d’Ottawa de faire indéfiniment la paix nationale sur le dos de la province de Québec. C’est dire que l’on ne fera pas de nous le Jonas perpétuel qu’on jette à l’eau chaque fois que la barque va de travers. C’est dire encore que, dans la maison de famille, nous voulons notre place au salon comme les autres et que nous n’acceptons pas d’être renvoyés à la petite chambre de la servante. Enfin et surtout, racinés dans ce pays depuis trois siècles, ayant contribué, pour notre part, à conquérir, par étapes glorieuses, son indépendance