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mes mémoires

Au reste, quelques semaines à peine plus tard, Son Excellence et moi-même aurions à nous instruire sur le danger de l’importune et même de l’opportune. Le 24 juin 1940, je me trouvais à Rouyn, Abitibi. On y célébrait, pour la première fois, une Saint-Jean-Baptiste de toute la région. J’étais le conférencier invité pour la célébration du soir. J’y parlai de « Nos problèmes de vie ». Fatalement, pour expliquer nos déficiences et les plus déplorables, le conférencier en vint à dénoncer l’esprit défaitiste d’un certain enseignement qui a fait à trop de Canadiens français une âme de petits salariés satisfaits de l’être, inconscients de leur sort. En conséquence, parmi les problèmes de vie à résoudre, il me parut que « le grand problème » qui se dressait, « dans sa poignante actualité », n’était nul autre que le problème de l’éducation. Et je disais :

Voici vingt ans et plus, qu’à temps et à contretemps, sans beaucoup de succès, je l’avoue, je ne cesse de dire à nos compatriotes qu’en tous nos projets de réformes économiques, sociales, politiques, nous n’avons oublié que le principal : nous réformer nous-mêmes, réformer le type de Canadiens français qu’une famille trop oublieuse de ses devoirs et qu’une école sans âme ont fait de nous. Et, par école, vous savez ce que je veux dire : j’entends toute maison d’enseignement fréquentée par les jeunes Canadiens français. Je ne suis pas seul à penser de cette façon. Je crois avoir vécu parmi la meilleure et la plus intelligente jeunesse. Plus je l’écoute parler, même dans les milieux d’action catholique, et je dirais même surtout en ces milieux, plus je constate la sévérité de ses jugements sur l’éducation qu’elle a reçue à l’école, au collège, à l’université. « Non seulement, me dit-on de partout, l’on ne fait pas de nous des Canadiens français, l’on ne fait pas même des hommes. » Et j’entends encore la rude boutade de ce père de famille, éploré devant ce qu’il appelait la pauvreté morale de ses fils. « Eh quoi ! lui avais-je demandé, est-ce qu’au moins on ne leur a pas appris à être Canadiens français ? » Et ce père de me répondre : « On leur a surtout appris à ne pas l’être. » Je voudrais que tous les contemplatifs de la tour d’ivoire pussent entendre ce qui se dit dans les salons, dans les cercles, dans les clubs, et pas toujours « par les esprits croches », mais le plus souvent par les meilleurs esprits de chez nous. Que le fait plaise ou ne plaise point, il reste que tous ceux, au Québec, qui pratiquent le dévouement dans les sociétés nationales, tous ceux qui se préoccu-