Page:Groulx - Notre maître, le passé, 1924.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
Notre Maître, Le Passé

mes dans les hasards de leur propre existence, la parole véhémente du tribun leur jetait à la figure comme le souffle d’une revanche. Et la foule applaudissait, trépignait, faisait un triomphe au libérateur.

Entendons bien tout le sens de ce spectacle. Louis-Joseph Papineau ne dut pas uniquement sa puissance à l’ensemble de ses dons physiques non plus qu’à son caractère. Pour enchaîner ainsi les foules, il lui fallait beaucoup plus que sa haute stature, que sa voix claironnante, que son masque d’orateur romain surmonté du panache romantique, beaucoup plus que l’accent honnête de sa parole, écho d’une conscience incorruptible. Quand un homme tient ainsi, dans ses mains, l’âme d’un peuple, jusqu’à faire l’unanimité autour de son nom et de ses doctrines, et non plus seulement pendant une heure de griserie oratoire, mais pendant près d’un quart de siècle, ne parlons plus de popularité factice, d’entraînement démagogique. N’atteint à cette longue magistrature morale que l’homme assez heureux pour personnifier les aspirations d’une race.

Tel fut bien le rôle du chef qu’acclamèrent et suivirent nos grands-pères. La force de Louis-Joseph Papineau, affirmons-le dans une formule précise : ce fut d’être la conscience de sa nationalité, la voix de l’irrédentisme français. Puisque en 1791 la politique de Pitt avait manifesté une claire volonté de perpétuer au Canada une province française, Papineau résolut d’empêcher que cette pensée politique ne fût pervertie. Puisque la charte canadienne octroyait un embryon de liberté parlementaire, il crut, avec sa logique française, que ce germe devait se développer jusqu’à son plein épanouissement et il empêcha les fonction-