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Notre Histoire

trie à servir éclairait les volontés de notre race. Le pacte fédéral recula soudain les frontières du patriotisme. À notre petite patrie canadienne-française il superposa la patrie « canadienne » tout court, et, par cette évolution profonde, introduisit chez nous la dualité nationale. C’était le temps ou jamais de définir et de diviser, de rendre à César ce qui était à César et à nous ce qui était à nous. Il importait de bannir toute ambiguïté, de marquer nettement la dépendance des parties et du pouvoir central dans l’ordre national. Le patriotisme canadien ne peut évidemment l’emporter sur le patriotisme de race ou de province, que dans les limites fixées par la constitution. Si notre peuple français se devait à son pays, il fallait lui enseigner qu’il continuait de se devoir à sa race. Hélas ! pourquoi faut-il, qu’au lieu de nous guider par ces clartés, nous ayons passé notre temps depuis un demi-siècle à hésiter entre notre particularisme et le grand tout canadien, ou, plus exactement, à nous débattre dans l’incohérence ?

Pareille imprécision dans les idées directrices de sa vie a produit, dans l’esprit du peuple, ce qu’elle devait produire. Tout avait changé pour nous en 1867 ; l’immobilité n’en est pas moins restée le premier article de notre programme. Nous avons opté pour l’empirisme, pour la routine, pour l’« essayisme » intermittent, quand le présent et l’avenir nous sollicitaient aux idées nettes, à l’action prompte et persévérante. Dans cet encerclement de fer où nous allions vivre, l’évidence elle-même ne pouvait nous promettre la survivance que par la mise en valeur de toutes nos forces et de toutes nos activités. Mais nous étions pauvres de trop de clartés pour nous déterminer efficacement. Quand il eût fallu parler de vigilance et de devoirs