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Notre Maître, Le Passé

tée du geste de 1842, nous l’apercevrions sans doute plus entièrement si, au lieu d’être dans ce Monument une assemblée de frères qui parlent encore la vieille langue immortelle, nous étions venus ici, descendants d’une race éteinte, nous redonner un instant le spectacle d’une gloire reniée. Ah ! s’il est vrai que l’âme d’un peuple est lente à mourir et que souvent elle se réveille comme une accusation et comme un remords, avec quelle nostalgie et quelle angoisse profondes vous m’auriez entendu ce soir vous apprendre, dans une langue étrangère, comment nous avons fini vers 1840 et comment il nous faut désespérer de redevenir Français !

Et pourtant qui peut en douter ? Sans la courageuse révolte de La Fontaine, eussions-nous échappé au péril grandissant de l’abdication universelle, à la vaste conspiration de mort ourdie contre nous ? Découronnée du prestige de ses droits officiels, tombée au rang de langue moribonde et reniée, notre langue n’eût-elle pas achevé de s’éteindre sur les lèvres des générations prochaines ? La Fontaine fut l’homme providentiel, celui en qui, à cette grande heure critique, est venu se condenser l’instinct de vie de la nationalité. Cet homme a mérité qu’on le ressuscite au plus tôt dans le bronze, et le socle de sa statue devra l’élever assez haut pour qu’il y prenne la figure d’un sauveur de l’âme française. (Applaudissements.)

Ah ! oui, qu’on l’élève très haut. Nous avons tant besoin que son geste illumine nos courages. Joseph de Maistre écrivait au lendemain d’une défaite qui anéantissait son petit pays : « Il y a une fatalité incroyable attachée à la bonne cause… cependant j’y mourrai ! » Mesdames, messieurs, nous, les hommes de trente à quarante ans, nous