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Notre Maître, Le Passé

chie à la chaux, assez vaste, comme il convient pour une famille qui espère le nombre et comme il appert aux vestiges des ruines remuées par la pioche dans le jardin d’aujourd’hui.

Un jour, vers 1687, le bonheur se sentit troublé dans la maison de Jean Grou où maintenant grandissaient huit enfants. La guerre iroquoise, l’abominable guerre, avait recommencé. Des histoires affreuses couraient d’une côte à l’autre. Ceux qui revenaient de Ville-Marie rapportaient de funèbres nouvelles. Tout le jour, on épiait fiévreusement le bord des bois. Les femmes regardaient leur homme et leurs enfants avec angoisse. Et le soir, on croyait voir, derrière les fenêtres, des spectres de démons qui riaient, sardoniques. Puis, soudain, c’est la glaçante épouvante du massacre de Lachine en 1689. Des récits de l’hécatombe, transmis de bouche en bouche, et grossis en route, rappellent les plus mauvais jours de M. des Ormeaux. L’hiver se passe dans des alarmes continuelles. Au printemps le bruit s’accrédite d’un retour prochain des barbares et aussi d’une invasion des Bostonnais qui vont venir par la mer et par le Richelieu, précédés des Loups et des Iroquois. Un matin du 2 juillet une troupe de cent Indiens est signalée le long de la rivière des Prairies. C’est sans doute l’avant-garde des guerriers Rouges en route pour Québec où s’en viennent les Bostonnais. Déjà les habitants accourent, la hache et le fusil à la main, chez Jean Grou qui a le fort sur sa terre, dans le bois, en arrière de sa coulée. Il y a là, ce matin de juillet, tous les hommes de la côte, et parmi eux, pour les commander, le sieur Colombet. Ils sont environ vingt-cinq. Pendant que les femmes affolées s’enfoncent en toute hâte dans la forêt, traînant avec elles les en-