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Notre Maître, Le Passé

monde aux grandioses aspects, rares sont encore les empreintes de l’homme civilisé. La nature vierge domine dans sa royale sauvagerie. Ça et là, sur les bords du fleuve, quelques clairières isolées, sans continuité, sans lien, sont moins des établissements que des essais de colonisation ; au milieu de ces clairières, des buttes de colons se dressent et parfois de petits clochers, modestes comme l’espérance qui flotte autour d’eux. Québec, Trois-Rivières, Ville-Marie, bourgades qui osent s’appeler villes, ne sont que les points brisés d’une ligne d’attente. Et pour occuper cet immense espace, 2,200 âmes tout au plus.

L’aspect désolant de ce tableau c’est qu’il proclame le complet échec d’une grande espérance, de cette Compagnie des Cent-Associés qui devait tout reprendre et tout sauver. En 1660 la misère générale s’aggrave d’un affreux cauchemar. L’horrible épouvante iroquoise qui, depuis cinquante ans, n’a cessé de monter de la forêt, se lève plus angoissante sur les clairières où peine le colon découragé. L’affolement gagne les têtes ; dans les habitations l’on agite des projets de départ, de sauve qui peut. Et l’histoire de la Nouvelle-France menace de se fermer sur la vision funèbre d’une longue file de transports en pleine mer rapatriant les restes d’un désastre.

L’arrivée du vicaire apostolique est un premier réconfort. De noble race, de grandes manières, l’homme a le magnétisme de tous les chefs. Puis sa venue signifie qu’en France l’on ajourne à tout le moins l’abandon de la colonie. Ce chef qui arrive ne peut s’en venir que pour faire son métier de soutien et d’organisateur, en attendant qu’il obtienne à la Nouvelle-France les régiments qui la sauveront.