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chacun ? Si jamais il fut un temps où trouvant en nous tous les éléments d’une belle vie, nous cherchions en vain à les organiser dans une action pratique, large, qui n’étoufferait rien, où se déploierait toute notre personnalité, tout son rêve intact, Dieu merci, ce temps semble passé pour toujours. Aujourd’hui, dans ce pays canadien-français, où passe un souffle nouveau, nous n’en sommes plus à ne pouvoir servir rien que des hommes et rien que des partis. Grâce aux programmes que l’on agite, grâce aux cadres qui se sont ouverts, les causes les plus dignes de l’homme, l’âme d’une race et d’une histoire, une culture et une foi appellent à leur service et à leur défense les plus grands et les plus modestes.

L’on me permettra de penser plus particulièrement ce soir, à notre élite intellectuelle. C’est à elle, ce me semble, qu’aurait voulu appartenir Dollard, désireux de réunir dans ses mains les meilleures formes d’action. Il eût choisi d’être parmi nous ce beau type de soldat latin, cultivé et vibrant que nous a décrit quelque part M. René Bazin. Or, cette élite de l’intelligence est celle qui, plus que les autres, doit répondre à de grandes espérances et à de grands devoirs. « Aujourd’hui, dit encore Léon Ollé-Laprune, les grands ce sont très particulièrement ceux qui pensent ou prétendent penser, ceux qui parlent, ceux qui écrivent. »

« Les politiciens sont désempanachés », a dit un jeune écrivain, M. Guy Vanier. Et le mot est en train de faire fortune parce qu’il répond à une indéniable réalité. Les dieux s’en vont ; ils s’en vont sans funérailles, sans oraison funèbre, et l’action politique que nous n’avons pas répudiée parce qu’elle s’impose, nous sommes en train de la remettre tout bonnement à sa place qui n’est pas la première. Quelques-uns parmi nos hommes politiques gardent encore du crédit, et même beaucoup ; ils ne le doivent plus, comme autrefois, à leur simple qualité de député ou de ministre, à je ne sais quel prestige magique dont la foule entourait le parlementaire ou le parleur de husting ; ils ne s’en sauvent que par une culture plus haute, une dignité plus parfaite du caractère, un sens plus généreux de leurs devoirs et des choses nationales. Les autres qui ne voudront pas monter jusque là, vont représenter de plus en plus un type inférieur, écrasés qu’ils