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PASSAGE DE L’HOMME

travaillais chez le Fermier de la Croix Rouge celui-là même chez qui nous avions logé la première nuit. Ce n’était pas un mauvais homme, mais il était brutal et mal marié. Sa femme n’était pas bonne pour lui, et pas trop bonne non plus avec les cinq petits. La Mère aidait à la cuisine, ou bien elle reprisait le linge. Il n’y avait plus de conversation possible avec elle. Parfois, elle ne reconnaissait pas. Et pas même moi. Elle ne vivait, semblait-il, qu’aux dimanches, à la grand’messe. Alors elle chantait si bellement que l’on se retournait vers elle. Nous logions dans une petite chambre, près du grenier. Le Fermier ne me payait pas, et je devais me contenter, pour l’habillement, de ce que j’avais pu emporter et de ce que m’offrait la Fermière. Nous ne mangions pas avec les maîtres, mais à part et un peu avant eux. La vie était parfois si difficile que j’avais envie de pleurer. Ma seule joie, c’était que la Ferme fût si bien placée que, de ma chambre, on pouvait voir le Fleuve. Par la lucarne, au lever du soleil, je regardais monter la brume. Un long bateau passait, ou un train de chalands. Et le jour, même, des bruits de sirène venaient de là. Je pensais à Claire et à l’Homme et je pensais aussi un peu à ce quelqu’un qui s’en viendrait, sur qui l’Homme avait plaisanté, à