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PASSAGE DE L’HOMME

on ne parle pas tout à fait la même langue. On parle une langue plus dure et plus sonore. Et qui s’attrape. Ceux qui ont vécu parmi nous, ça se voit à une façon de parler, qui leur reste jusqu’à la mort… » Il resta un temps silencieux, puis ajouta, hochant la tête : « Cinq mois que vous êtes sur les routes ! Jamais personne ici n’a fait un aussi long voyage… Et où donc pensez-vous aller, après l’hiver ? » L’homme dit : « Je pense aller aux Îles. » Et personne ne comprit ce qu’il disait, ne sachant ce que c’était qu’une île, ni s’il y en eût qu’un homme tout seul pouvait atteindre. « Ah ! oui ! dit le Père, les Îles !… » Et il se tut. Mais le silence n’était pas embarrassé, de sorte que lorsque la Mère parla, après peut-être deux minutes, personne ne le trouva étrange. Elle disait : « Faut que des hommes voyagent. Il faut que la Terre soit traversée de temps en temps. Et il faut aussi qu’il y ait des maisons, sur les routes, où vivent des gens qui ne partent jamais. Tout ça, c’est dans l’ordre. »

« C’est dans l’ordre », reprit le Père, et il ferma son couteau. Alors nous nous assîmes devant la cheminée. Et du manteau de l’homme montait, à la chaleur, comme une odeur d’herbes amères, ou encore d’anis : on ne pourrait pas dire. Et l’homme lui-même…