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Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/118

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LE SURVENANT

Désarmées par son indifférence envers elles, plusieurs filles du Chenal entourèrent Venant :

— On vous connaît, Survenant : c’est rien qu’une défaite…

— Chantez ! On veut vous entendre à tout prix.

— Quoi c’est que vous voulez que je vous chante ?

— La chanson de votre cœur, Grand-dieu-des-routes !

— De mon cœur ? Savez-vous si…

— Dis-en rien, interrompit Phonsine : c’est un chétif métier de parler en mal des absents.

— Phonsine ! lui reprocha le Survenant, vas-tu te mêler d’être pointeuse, la petite mère ?

Mais pendant que les autres riaient fort, il dit à Bernadette de façon à être entendu d’elle seule : « Paye-moi un coup, ma belle, et je chanterai. » — « Après », lui répondit-elle, saisie. — « Non, de suite pour m’éclaircir la voix. Autrement je chante pas. »

Un peu interdite mais séduite par l’idée d’être seule avec le Survenant pendant quelques instants, Bernadette se faufila jusqu’à la grand-chambre. Peu après il la suivit et poussa la porte. En silence elle tira la cruche de caribou cachée à côté du chiffonnier et lui tendit un verre. Il l’emplit jusqu’au bord puis, comme avec des gestes tendres, le porta à ses lèvres. Il but une gorgée et, sans attendre que son verre