portaient le reflet. Une journée, un petit vent, à peine un souffle, passa et repassa au Chenal. Il se posait à peine, comme une main douce, sur les visages.
— C’est-il le printemps, quoi !
Le lendemain, un vent bourru tempêta partout à la fois. Il coucha les balises et fit onduler sur la plaine de grandes vagues de neige sèche.
— Un vent traître, hé, Didace ? Il a le courage de nous pénétrer jusqu’à la moelle des os.
— Ah ! j’ai vu l’heure qu’il me dépècerait la face comme avec un couteau.
Puis de nouveau l’air s’affina. Le soleil chauffait un peu plus tôt et un peu plus longtemps, chaque jour. Maintenant, au lieu de lisses bleues sur les routes de neige fraîche, une eau brunâtre stagnait, vers l’heure du midi, dans les roulières cahoteuses, tout le long du Chenal.
Vers la fin de mars, à l’approche du coup d’eau, les anciens, hantés par le souvenir des inondations, comme d’un commun accord se mirent à parler du vieux temps. Un soir, Didace, pour tirer du silence le Survenant, évoqua l’épouvantable débâcle du mercredi saint de 1865. Il décrivit le fleuve changé en furie par la crue des eaux et la violence dans le vent, happant des vies à la douzaine, puis des bâtiments, puis des arbres séculaires, puis d’une bou-