Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/133

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
LE SURVENANT

— En effet, je vous ai jamais conté ce qui est arrivé à Tit-Ouis. Pour pas se neyer Louis Désy s’était jouqué à la tête d’un arbre. Et le vent le faisait pencher tantôt d’un bord, tantôt de l’autre bord, ni plus ni moins que comme une branche de saule. C’était déjà loin d’être drôle, quand tout d’un coup il voit sa maison que la rivière charrie. Mais c’est pas tout : il y avait sa femme et sa fille dedans « Adieu, ma femme. Adieu, ma fille », qu’il dit en reniflant, tout en levant les bras au firmament. « À c’t’heure je vous reverrai plus, rien que dans le paradis. » Et sitôt dit, il ferme les yeux, pour pas les voir péries. Mais les deux créatures — comme de raison elles comprennent de travers — au lieu de répondre : « Adieu, au ciel ! », se mettent à grimper dret au haut du pignon. De sorte que quand Louison ouvre les yeux, qui c’est qu’il voit, à cheval sur la maison ? Sa fille, et sa vieille ben en vie qui lui crie : « Bonjour, mon cher Tit-Ouis. »

Le Survenant ne broncha pas.

Mais soudain, sans même lever la vue, il se mit à parler à voix basse, comme pour lui-même, de l’animation des grands ports quand ils s’éveillent à la vie du printemps, et surtout du débardage, un métier facile, d’un bon rapport, sans demander d’apprentissage. Il ne dit pas un mot des dangers de l’homme de quai. Ni des misères du débardeur,