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LE SURVENANT

se voit. Tu peux pas comprendre ça parce que tu rimes rien en dehors de ta tranquillité. Jouis-tu seulement d’une journée de beau temps ? Ah ! non ! demain, à soir, il peut mouiller. Rien qu’à la pensée de risquer une taule pour aider la terre, tu blêmis de peur : du moment qu’elle durera autant que toi, après… neveurmagne ! T’es pareil à la fourmi qui se défait de ses ailes quand elle a assuré sa vie. Pourquoi des ailes ? Pourquoi voler ? Elle en a plus besoin. Seulement une passion qui se voit pas porte pas le nom de passion : elle fait pas chambranler de bord en bord du trottoir. Pauvre Amable ! C’est pas rien que de ta faute. Le bien paternel aura aidé à te pourrir. Avant toi, pour réchapper leur vie, les Beauchemin devaient courir les bois, ou ben ils naviguaient au loin, ou encore ils commerçaient le poisson. Mais toi, t’es né ta vie toute gagnée, fils d’un gros habitant. Tu t’es jamais engagé. Une famille, c’est quasiment comme le sel. L’eau de pluie tombe du ciel, pénètre la terre, prend le sel dedans, puis gagne les ruisseaux, les rivières et court enrichir la mer. Le ciel pompe l’eau de la mer et retourne le sel à la terre. On dirait que faut que tout recommence dans ce bas monde.

Didace, qui jusque là avait paru ne prêter qu’une oreille distraite aux propos du Survenant, l’interrompit soudain, sa grosse voix bourrue comme voilée de mélancolie :