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LE SURVENANT

en neuf, moi puis Mathilde, on s’est-il nourri longtemps rien que de poisson à la sel-et-eau. Le matin, j’allais visiter mes pêches. Le poisson qu’était pas vendable, je le mettais de côté. La femme l’accommodait en le jetant tout vivant dans une chaudronnée d’eau bouillante, avec une poignée de gros sel. On le mangeait de même, sans beurre, sans aucun agrément. La première fois on trouve ça bon. Mais jour après jour, tout un été de temps, à la longue l’estomac nous en criait de faim. Fallait tant ménager… Et si on en avait du cœur pour défendre son bien !

— Du cœur ? C’est pas ce qui vous manque. Je vous regardais tantôt quand vous étiez choqué : vous êtes loin d’être vieux. Vous pourriez encore élever une famille.

Didace sursauta : se remarier ? À son âge ? Prendre une deuxième femme assez jeune pour lui donner un ou deux garçons semblables à lui ? Il n’y avait jamais songé.

Sous ses sourcils en broussailles, son regard fouilla le visage du Survenant : il était lisse comme un miroir, sans un clignement d’yeux, sans un plissement de nez, sans le moindre sourire. Inconsciemment, Didace redressa ses épaules affaissées.

— On le sait ben : j’suis pas des plus jeunes, mais j’suis pas vieux, vieux comme il y en a, pour mon temps.