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LE SURVENANT

Le cœur encore battant d’émoi, Angélina regarda filer l’auto, mais elle n’entrevit que le dos de deux femmes qui lui parurent élégantes, coiffées de bonnettes de soie tussah, laissant flotter au vent de longues écharpes de tulle illusion, bleu marie-louise.

Le Survenant reprit sa place à côté d’Angélina et ils se remirent en route vers Sainte-Anne.

— Tu sais pas la grande nouvelle ? demanda aussitôt Venant, tout excité. Il y a un cirque qui vient à Sorel à la fin de la semaine. Ah ! va falloir que j’y aille à tout prix. Un cirque ! Tu y penses pas ?

Un cirque ! Le Survenant regarde défiler en soi la parade, au son de fanfares claironnantes : des bouffons tristes en pirouettes, les paupières fendues horizontalement d’un trait de khol. Une cavalcade de cow-boys. Un nain malmène le géant. Des écuyères, la taille sanglée dans des oripeaux aux couleurs impossibles, sourient, sur des chevaux qui se cabrent. Grimpée sur un carrosse rose et tout doré qu’on a sûrement dérobé à un conte de fée, la reine de la voltige envoie des baisers. Puis ondule la longue vague grise des éléphants à la queue-leu-leu. Un phoque savant et vertical, dans sa robe luisante, cherche à faire la belle. Les singes à panache et à veston bigarré jouent des tours au lion. Toute la jungle. Et le Far-West. L’Asie. L’Afrique. Le monde. Le vaste monde. Et puis la route…