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Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/221

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LE SURVENANT

dix, douze livres, épaisse de flanc, s’en détache et tombe comme une roche ? Ça c’est un vrai coup de fusil ! Si vous saviez ce que c’est de voir du pays…

Les mots titubaient sur ses lèvres. Il était ivre, ivre de distances, ivre de départ. Une fois de plus, l’inlassable pèlerin voyait rutiler dans la coupe d’or le vin illusoire de la route, des grands espaces, des horizons, des lointains inconnus.

Comme son regard, tout le temps qu’il parlait, tendait uniquement vers la porte, chacun, à son exemple, porta la vue dessus : une porte grise, massive et basse, qui donnait sur les champs, si basse que les plus grands devaient baisser la tête pour ne pas heurter le haut de l’embrasure. Son seuil, ils l’avaient passé tant de fois et tant d’autres l’avaient passé avant eux, qu’il s’était creusé, au centre, de tous leurs pas pesants. Et la clenche centenaire, recourbée et pointue, n’en pouvait plus à force de cliqueter sous toutes sortes de mains, une humble porte de tous les jours, se parant de vertus à la parole d’un passant.

— Tout ce qu’on avait à voir, Survenant, on l’a vu, reprit dignement Pierre-Côme Provençal, mortifié dans sa personne, dans sa famille, dans sa paroisse.

Dégrisé, Venant regarda un à un, comme s’il les voyait pour la première fois, Pierre-Côme Provençal,