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LE SURVENANT

— Ma tasse ! c’est ma tasse que vous avez là !

Plus vif qu’elle et taquin, Venant haussa la tasse jusqu’au bout de son bras.

La jeune femme pâlit :

— Vous allez la casser ! C’est pas franc !

Bien que la tasse n’eût rien d’extraordinaire, Alphonsine y attachait un grand prix. Un soir de kermesse, à Sorel, elle avait reconnu une ancienne compagne de classe, nouvellement mariée à un médecin de Saint-Ours. Aussi désireuse de se montrer au bras d’Amable que de renouveler connaissance avec cette amie de couvent, elle adressa à celle-ci des signes de joie. Mais l’autre, feignant de n’en rien savoir, occupée seulement à retenir son boa d’autruche en sautoir, se détourna d’elle comme d’une inconnue, pour reporter toute son attention sur une tasse et une carafe mises en loterie. Humiliée, Alphonsine s’était empressée d’acheter la balance des billets. À son fier contentement, le lot lui avait échu.

Devant l’indignation de Phonsine, le Survenant lui rendit la tasse, à grands éclats de rire :

— Pour ben faire, faudrait toucher à rien dans cette maison icitte : le père a son fauteuil, le garçon, sa berçante, et v’la que la petite mère a sa tasse…

Le rire de l’étranger carillonna comme des grelots aux oreilles d’Angélina.