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LE SURVENANT

— Pourtant le Survenant en mange toujours deux, trois pointes !

Mais afin de ne pas quitter sa voisine sur une parole sèche, l’infirme se reprit :

— Je suis fière de vous savoir aussi avancés dans vos travaux d’automne.

Alphonsine abandonna la pâte. Sa figure s’épanouit. Ses mains, blanches de farine, nouées dans la lumière vive dont le soleil ourlait un panneau de la table, elle se rasséréna comme l’oiseau, la tête blottie sous l’aile maternelle, dans la simple joie de la sécurité :

— On a déjà quasiment tout notre hivernement. Pour dire la vérité, depuis son arrivée, le Survenant a fait donner une vraie bourrée à mes hommes…

Le regard perdu dans le firmament pommelé vers le nord, au défi des bourrasques de vent, des coups d’eau, des bordées de neige et des tempêtes de poudrerie, elle énuméra joyeusement les ressources de la maison :

— Tout notre hivernement : notre bois, tu le vois, de la plane des îles, de belle grosseur ; la fleur de sarrasin, on en parle pas, on est à même. Nos pois cuisent en le disant sans l’aide d’une goutte d’eau de Pâques. Nos patates fleurissent, une vraie bénédiction. Notre beurre de beurrerie s’en vient. On a tout ce qu’il nous faut. Il nous restera plus qu’à faire boucherie et à saler le jeune lard, à la première grosse gelée après la Notre-Dame.