Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
LE SURVENANT

— Sûrement il faudrait de la neige. Une grosse bordée de neige.

À mesure qu’il vieillissait, sachant éphémères tant de choses qu’il avait crues immuables, Didace ne se reposait plus comme autrefois dans la certitude des saisons. Quand il avait pris possession de la terre ancestrale, puis à la naissance de ses fils, un sentiment de durée, de plénitude, l’avait pénétré jusque dans sa substance même : la force tranquille de l’arbre qui, à chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, enfonce ses racines plus avant dans le sol. Il ne doutait pas alors que le printemps ne ranime l’eau des rivières, que l’été ne mûrisse, par grappes blondes, les avoines, avec tous les fruits de la terre. Il savait que le départ des oiseaux sauvages est nécessaire, à l’automne, et qu’il engendre la fidélité du retour, au printemps. Il savait aussi que la neige tombe à son heure, et pas avant ; et que rien ne sert, devant les desseins de l’Éternel, de vouloir tout juger à la petite mesure de l’homme.

Mais le gel de la mort a abattu une jeune branche avant son terme ; une autre s’en détache d’elle-même, comme étrangère à la sève nourricière, et le vieux tronc, ses racines à vif, peine sous l’écorce, une blessure au cœur.

« Si l’Ange de Dieu… » prêchait le curé de Sainte-Anne.