Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/155

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Quand, à pareille date, l’an dernier, elle avait tenté de se suicider la pensée que son corps serait transporté à la morgue ne l’avait pas même effleurée. Elle s’était vue en belle morte dans de la soie capitonnée, avec des fleurs de jardins toutes autour d’elle. Des cousins éloignés et des connaissances venaient la voir dans le salon rigide mais familier de sa grand’tante en disant, chacun à son tour : « Elle est bien heureuse ! » Et Arcade, le cœur gros et les yeux rougis, se sauvait loin des autres… Mais pas nue, dans un tiroir de glace, et exposée à la vue de n’importe qui. Ce détail aurait pu l’empêcher d’accomplir son acte tragique.

Caroline n’en pouvait plus. Son stylo lui tombait des mains. Elle remit le travail au lendemain matin mais avant de ranger ses notes elle biffa d’un large trait rouge le mot « repose » dans cette phrase : « Le corps de l’inconnue repose sur les dalles froides de la morgue ».