Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/168

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— Ma femme, dit-il, il va falloir que tu grèyes mon paqueton ?

— Pour quoi faire ? demanda Mariange d’un air innocent.

— Demain soir, si le bon Dieu le veut, je coucherai aux noirs.

— Et ta promesse ?

— Comprends donc, ma femme. Une promesse, c’est bon pour quelque temps, mais pas pour toute la vie.

— Pauvre homme ! va dégraisser ton fusil au plus coupant. Il y a assez longtemps que tu languis et rapporte-nous des canards, mais pas à dix piastres le couple. C’est trop cher pour nos moyens.

Mariange faisait allusion à l’amende que Lauréat avait dû payer.

Lauréat mis en joie par la bonne humeur indulgente de Mariange et allégé d’un tas de choses obscures se sentait en verve :

— Oui, j’ai payé l’amende, l’année passée. à peu près vers ce temps-ci. Il faut que je vous raconte mon embardée. Il y avait plusieurs fois que j’allais à la chasse avec des canards de bois. J’avais beau appeler de mon mieux les canards noirs, ça appelait pas fort et ça répondait encore moins. Comme pour me narguer, ils passaient au large par bandes de dix, douze et plus ; ils ne voulaient pas coller, comme on dit. Des petites chasses de deux, trois canards n’ont rien de passionnant pour un chasseur et je trouvais les nuits longues. Un bon jour, je me fâche et je décide de tricher la couronne. J’achète deux jars, dans le plus grand secret, et je cache la poche, sous le foin, dans la pince du canot. Ce n’est pas à demander si j’attendais le soir avec impatience. Justement il faisait un temps sans pareil ; un beau temps clair, avec un vent du nord, de l’eau en masse et partout des joncs jaunes comme de l’or. Je me rends à mon affût et à la brunante, je mets les canards à l’eau. Vous connaissez ça la chasse, mademoiselle Lalande ?