Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/18

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que la vie est un chemin à sens unique ; un “one-way” comme disent ceux de votre génération. Il n’appartient à personne, riche ou pauvre, de revenir sur ses pas, non plus que d’en prolonger la durée, encore moins d’en supprimer le cours. Les lois, divine et humaine, nous ordonnent de la parcourir jusqu’au bout. Faut-il donc, hélas ! avoir atteint la vieillesse, frôlé quotidiennement la misère, la honte et la pauvreté pour acquérir la science de la vie. Mais je m’excuse, mademoiselle, je ne vous ai pas appelée pour philosopher, mais plutôt pour tenter de vous venir en aide.

Tant de sollicitude touchait Caroline qui, fort émue, répondit :

— Je ne le mérite pas, monsieur le juge.

— Que comptez-vous faire ?

Four toute réponse, Caroline se contenta de hausser les épaules.

— J’ignore si ma proposition vous agréera. Voici : j’ai un frère qui est le propriétaire d’un journal dans une petite ville, plus précisément à l’Anse-à-Pécot. Il aspire à un repos bien mérité. Actuellement son fils remplit la charge de directeur mais comme il contrôle aussi le travail de l’imprimerie, il ne vient pas à bout de la besogne. Mon frère, à qui j’ai parlé de vous, verrait d’un bon œil une femme prendre une part active à la vie du journal.

— Mais je ne suis pas journaliste, protesta Caroline.

— Vous le deviendrez. Vous serez journaliste.

Journaliste ! Caroline Lalande, tu seras journaliste, oui, journaliste. Les mots cognaient dans sa tête sans réussir à la pénétrer de leur sens. Il lui semblait,