Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/184

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE XXIIième


Par un matin de janvier grisonnant et doux, Caroline se trouva à Montréal sur le quai de la gare. Étourdie par le bruit et le mouvement qui maintenant lui étaient étrangers, elle avançait d’un pas hésitant parmi les gens pressés et les voitures de bagages que les falots éclairaient d’une lumière triste.

Elle entra dans la gare, un moment, pour reprendre haleine. Une chaleur écœurante y stagnait. Dans la horde anonyme des voyageurs, Caroline vit deux enfants pauvrement vêtus qui sommeillaient sur les banquettes ; une vieille femme édentée veillait sur eux. D’autres, des hommes jeunes encore, mais la figure usée par une vie dure, attendaient, sans hâte et sans regret, en pleine résignation à leur sort, le moment du départ, tout en surveillant le havresac déposé à l’écart. Un pareil spectacle pesa sur l’esprit de Caroline. Elle se hâta de sortir. Au-dehors le ciel était bas. L’air, quoique plus respirable, traînait un relent d’essence. Elle se sentit soudainement envahie de tristesse devant la neige en bordure de la rue, une neige que le dégel et la suie s’étaient acharnés à transformer en fange.

Il était trop tôt pour se rendre au poste de radio. Elle marcherait le long des éventaires et des boutiques. Bientôt elle longea les grands magasins. De ce qui autrefois lui faisait tant envie aux devantures, rien ne la tentait plus. D’un esprit libéré, elle examinait les déshabillés bordés de duvet d’autruche, les robes en souffle de soie, les fourrures princières et ils lui paraissaient si irréels qu’elle les regardait d’un œil enchanté et détaché à la fois ainsi qu’on prête l’oreille à des histoires fabuleuses. Une vitrine remplie de bas chauds au tissu serré la retint davantage.

À dix heures, elle était rendue à la bâtisse du poste. Pour ne pas marquer