Page:Guèvremont - Tu seras journaliste, feuilleton paru dans Paysana, 1939-1940.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Vous vous croyez la simplicité même et vous n’êtes pas simple. Quand on vous représente quelque chose, au lieu de voir la chose en elle-même, claire, telle qu’elle est, vous en cherchez l’écume. Les mots ne sont que l’écume de la vie. « L’ombre qui tombe de l’homme », voilà un aimable assemblage de mots qui charment l’oreille la plus avertie. Mais avez-vous regardé l’ombre qui s’étend d’un arbre ? L’ombre aide l’arbre à grandir.

Caroline s’exclama :

— Vous avez toujours le soleil et la sagesse à la bouche ?

Le juge protesta :

— Je porte de l’âge et de l’expérience et à certaines heures… Mais il reprit sur un ton ferme :

une véritable épouse, une bonne mère : elle aide de sa vaillance et de son amour l’homme qui l’a choisie entre toutes comme la meilleure. L’arbre et l’ombre grandissent ensemble.

Elle croyait entendre la voix d’Arcade. Ainsi un juge qui avait connu les honneurs de la politique et du barreau et un humble paysan qui ne savait que la droiture de son cœur parlaient le même langage et avaient la même foi dans la destinée de la femme. Le démon de l’orgueil la tenta une dernière fois : « Tu n’as pas peur ? » lui souffla-t-il à l’oreille. Caroline professa tout haut :

— Je n’ai pas peur.

Ses dernières résistances tombaient à jamais.

Au moment de la quitter, le juge Dulac lui dit encore :

— Oubliez vos livres et ouvrez votre cœur. Ouvrez vos bras tout grands à l’avenir.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Caroline n’avait aucun plan de retour. Le soir même de son arrivée à l’Anse,