Page:Guerne - Les Siècles morts, I, 1890.djvu/196

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chair et noiera ma mémoire.
Ta droite m’abandonne, et je ne suis plus rien
Qu’abjecte pourriture et vermine de chien.
De tout ce que j’ai fait, de mon œuvre princière,
Les siècles dédaigneux vanneront la poussière
Au vent de ta Justice et de ton Équité !
Vanité ! Vanité ! Tout n’est que vanité ! —

Et Schelomo pleura. La nuit comme un suaire
Enserrait les sommets, les tours, le sanctuaire,
Et sur la multitude et les chefs disparus
Roulait confusément ses plis toujours accrus.
Seul, debout, face à face avec l’ombre divine,
Il entendait décroître au loin, dans la ravine,
Comme un vaste troupeau qu’un pâtre détachait,
L’innombrable rumeur du peuple qui marchait.
Tout bruit cessa. Ziôn voila son front livide,
Et Schelomo fut seul sur la terrasse vide.
Alors, de l’horizon des monts inaperçus
La lune lentement monta ; puis au-dessus
Du Moriâ spectral où blêmissait le Temple,
Grandit et se fixa comme un œil qui contemple.
Et la voix d’Iahvé, dans le vent violent,
Courant d’un bout à l’autre, emplit le ciel sanglant,
Ainsi qu’au Sinaï roule un lointain tonnerre.
Une main flamboya sur la rondeur lunaire ;
Et dans la main farouche un manteau secoué
Au vent inattendu tordait son poil troué.
Et dans la vaste nuit, d’un geste frénétique,
Élohim lacéra le manteau prophétique