Page:Guerne - Les Siècles morts, I, 1890.djvu/217

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Sur le gouffre vaincu des eaux jamais calmées,
J’ai vu, se hérissant sous un ciel incertain,
Bleuir dans l’air figé les Iles de l’Étain.
De tous les ouragans j’ai connu les fatigues ;
Nourri de poissons secs, de dattes et de figues,
D’eau fétide abreuvé, j’ai, pendant cinquante ans,
Livré ma voile pleine aux vents intermittents,
Et chassé tour à tour de rivage en rivage,
Combattant, trafiquant, sur la grève sauvage
Derrière un câble bas étalé mes tapis.
Muets, émerveillés, à l’entour accroupis,
Les barbares d’abord tendaient leurs mains avides
Vers moi, qui seul, debout parmi les coffres vides,
Tantôt flatteur et souple, ou farouche et brutal,
Offrais des vases peints, des coupes de métal,
Des verres transparents, des glaives et des flèches,
Des étoffes de lin, teintes de pourpres fraîches,
Et des robes de laine et des casques guerriers.
Puis au comptoir récent des grands aventuriers
Les hommes des pays apportaient en échange
Leurs trésors enfouis et l’argent sans mélange.
Tarschisch, dans les plateaux, selon le double poids,
Pesait le cuivre et l’or, le cinabre et la poix ;
Ophir, les diamants, l’onyx, les perles mates,
L’ivoire, le santal avec les aromates.
Et lorsque, enfin chargés, mes gaouls alourdis
Tentaient pour le retour les flots approfondis,
Lorsqu’ils fuyaient dans l’ombre, ou, battus des tempêtes,
Roulant autour des mâts les voiles inquiètes,