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LA LAMENTATION D’IŠTAR

Luisaient par intervalle et s’éteignaient encor.
Seul, dans le ciel sinistre ouvrant sa corne d’or,
Šin, déchirant la mer opaque des nuées,
Blanchissait, par instants, leurs masses refluées.
Et dans la profondeur, tels que des spectres lourds,
Blêmissaient vaguement des escaliers de tours,
De rigides parois, des temples dont la cime
Montait et se perdait dans le nocturne abîme.
Le Fleuve antique, au loin, parmi de grands roseaux,
Sur les sables obscurs roulait ses mornes eaux,
Où nageaient, charriés du fond du désert sombre,
Des troncs de palmiers morts, entre-choqués dans l’ombre.
Les lions prisonniers dans les parcs en gradins
Erraient ; et par éclats, leurs grondements soudains,
Prolongés en échos de terrasse en terrasse,
Emplissaient l’air troublé d’une rumeur vorace.
Parfois, rauque, étranglé, farouche, épouvanté,
Un râle se mêlait au bruit d’un corps jeté :
Quelque captif, lancé par-dessus la clôture
Aux fauves inquiets qui flairaient leur pâture.
Le silence creusait le gouffre de la nuit;
Et sous le ciel aveugle où nul astre ne luit,
En rafales, le vent, venu des solitudes,
Parmi les arbres durs et les feuillages rudes,
Tumultueusement soufflait, depuis le soir.
Et les hauts monuments dressant un faîte noir,
Les temples colossaux construits depuis vingt nères,
Accrochant tour à tour quelques reflets lunaires
Aux livides rondeurs de leurs dômes cuivrés,